Entretien avec Nicolas GRIVEL, Directeur général de la CNAF
24 avr. 2025
Entretien avec Nicolas Grivel, Directeur général de la CNAF : défis entre restructuration de la Branche, transitions managériales, paritarisme et ancrage territorial
Un dialogue franc et nourri, marqué par une volonté partagée de lucidité, d’écoute et d’ajustement face aux défis de demain. Un échange à la hauteur des enjeux sociaux de la branche Famille.
Par Léonard Guillemot – Secrétaire Général du SNADEOS CFTC
22 Avril 2025
Dans un contexte de transformation profonde de la branche Famille, le SNADEOS CFTC et la Fédération CFTC PSE ont rencontré Nicolas Grivel, Directeur général de la CNAF, pour un échange à bâtons rompus sur les grands enjeux du moment. Rémunérations, santé au travail, politiques d’aide à la petite enfance ou encore gouvernance paritaire : aucun sujet n’a été éludé.
Les Emplois repères : vers une harmonisation raisonnable laissant des marges locales
Dès l’ouverture, le ton est donné : « Ce n’est pas une question de noblesse de l’emploi », rappelle M. Grivel, à propos des distinctions entre emplois repérés et non repérés. L’objectif : tendre vers « le plus possible d’harmonisation », tout en respectant les particularismes locaux. Le Directeur Général souligne la volonté d’éviter une standardisation rigide : « Il faut trouver un juste équilibre entre ce qui est cadré nationalement et ce qui relève des acteurs locaux. »
Classification et rémunération : une année “positive” mais perdue dans tant d’années « de néant »
Sur le sujet brûlant de la nouvelle classification, M. Grivel se veut rassurant : « Ce sont deux exercices différents, mais qui peuvent coexister », dit-il à propos de la classification et de la politique salariale annuelle. Il insiste : « Ce qui est satisfaisant aujourd’hui, c’est qu’on a réussi à atterrir après un vrai dialogue social. »
Aidants familiaux : “une réalité qui s’impose à nous”
Interrogé sur la future négociation Ucanss sur les aidants, M. Grivel partage une vision lucide : « Ce n’est pas une problématique qui touche seulement deux ou trois personnes dans chaque organisme, c’est potentiellement très large. » Il reconnaît les besoins spécifiques des personnels d’encadrement et appelle à « une réflexion générale » sur la fin de carrière et l’articulation des temps de vie.
Risques psychosociaux : un mal silencieux qui s’étend
L’alerte est claire : « Un salarié sur deux serait concerné par des RPS », rappelle le SNADEOS. M. Grivel admet la difficulté du sujet, notamment chez les agents de direction : « Ce n’est pas quelque chose dont on parle facilement. » Il mentionne les dispositifs existants – audit, appui psychologique, médiation – mais concède leur limite : « Il faut parfois se dire : ces deux personnes ne peuvent plus travailler ensemble. »
Reconnaissance financière locale, trop souvent symbolique quand elle existe …
Les témoignages du terrain de la CFTC font mouche : « Des collègues qui préparent trois semaines de formation et touchent 53 euros… pendant que la direction achète un baby-foot. » Pour M. Grivel, la reconnaissance ne se limite pas aux négociations salariales nationales : « Les petits gestes, les symboles, les leviers locaux, comptent énormément. » A cette occasion, il annonce la reconduction du dispositif de rachat de RTT pour 2025.
Budget, FNGA toujours des marges de manœuvre trop limitées
Si les marges existent, elles restent modestes : « On exécute à 99 %, voire 99,5 %. » Et sur les excédents : « Ce ne sont pas des masses utilisables comme on le souhaiterait. » La clef réside, selon lui, dans l’accord de classification obtenu, budget pas si évident à sauvegarder « dans un contexte budgétaire aussi contraint ».
Petite enfance : entre ambition et inertie politique que de temps perdu … pendant ce temps le taux de natalité s’effondre.
Le FNAS affiche une exécution dynamique, mais les créations de places stagnent. La faute à « une moindre dynamique des collectivités » et un « manque de professionnels du secteur de la petite enfance ». M. Grivel déplore un « décalage entre les leviers du FNAS de la COG de la CNAF et le calendrier politique des municipales de 2026 » et des élus locaux restant « parfois dans une incertitude financière totale vis-à-vis de l’Etat ».
Réforme de la PSU : amorce d’un nouveau cycle mais qui reste à consolider lors de la prochaine COG
M. Grivel reconnaît l’existence d’effets de seuil problématiques : « Les structures avaient tout intérêt à rester juste en dessous. » Des ajustements ont été faits, mais une refonte plus profonde est à proposer dans « la prochaine COG ».
Branche famille, une charge de travail et des supervisions 2025 qui appellent à une vigilance accrue
Entre chantiers structurels (France Travail, Solidarité à la source, CMG) et surcharge ponctuelle, la branche avance prudemment mais sûrement. M.Grivel reconnaît : « Ce qu’on ne sait pas encore, c’est si ces changements vont produire un nouvel équilibre structurel et de quelle ampleur. » La structure de l’organisation du travail et de la répartition des emplois futurs, entre production, contrôle, lutte contre la fraude, service aux allocataires et action sociale seront à adapter en fonction des impacts constatés.
Lutte contre la fraude : entre volume des contrôles et impacts financiers, le choix est fait et assumé !
Sur la fraude, le dilemme est posé : « Soit on maximise les montants détectés, soit on augmente le nombre de contrôles. » La CNAF assume son choix de privilégier la lutte contre la fraude à haut risque financier. L’arrivée de la solidarité à la source devrait renforcer l’efficacité et simplifier les problématiques récurrentes de la branche sur les indus/rappels réguliers. La lutte contre la fraude liée au travail partiellement dissimulé devrait également se développer et changer de paradigme avec la solidarité à la source et les échanges URSSAF/CAF.
Paritarisme et gouvernance locale : une identité à défendre, peut-être à réinventer pour la réaffirmer ?
Le SNADEOS plaide pour une reconnaissance pleine des OS, dans les conseils d’administration mais aussi, pour que les représentants des salariés soient plus associés dans la préparation et le suivi de l’exécution de la COG. M. Grivel partage l’attachement de la CFTC au paritarisme et à son ancrage local :
« Avoir cette interface avec la société civile, c’est utile et c’est une force. » Au sujet des fusions CAF/CPAM, il précise qu’elles ne seront pas généralisées mais répondent à la demande des acteurs locaux : « Ce n’est pas un projet de la CNAF. »
Managers ! La CFTC alerte sur leurs conditions d’exercice qui se dégradent.
L’entretien s’achève sur une réalité inquiétante de terrain : « Aujourd’hui, on cumule. Les managers font toujours plus de reporting, toujours plus de supervision au détriment de leur fonction centrale d’animation d’équipe… »
M. Grivel entend l’alerte. Reste à voir si elle portera ses fruits ?
Délégation CFTC :
SNADEOS CFTC : Benoit Volkoff Président et Léonard Guillemot Secrétaire Général ;
Fédération CFTC PSE : Pierre Pineau Secrétaire Général adjoint.