Secrétaire générale de la fédération Protection sociale et Emploi et secrétaire générale adjointe confédérale, Christine Lecerf partage avec nous les défis auxquels militants et salariés ont dû faire face... Avant d'ouvrir le débat sur le devenir de la protection sociale en France.
Quels bouleversements la survenue du Covid-19 a-t-elle provoqués au sein des services et personnels que vous représentez ?
La situation est inédite : il a fallu faire face à une urgence sanitaire totale et imprévue. La mission de nos agents recouvre l’ensemble des prestations régulières (familiales, retraites de base et complémentaires, revenus de remplacement, pensions…) et ponctuelles (aides sociales, remboursements maladie, assurance chômage…). Elle est donc fondamentale, concerne l’ensemble de la population. Il fallait assurer la continuité de ce service(1), répondre à l’urgence sociale, régler au plus vite les prestations, poursuivre notre accompagnement. Le personnel a dû s’adapter très rapidement. Certains agents avaient l’habitude de télétravailler ; la majorité, non. Et pour eux, il était nécessaire de rendre possible le travail à la maison. Il fallait aussi maintenir le présentiel, certaines missions ne pouvant être télétravaillables. Prenons un exemple très simple, mais au cœur de l’activité utile : le tri et la numérisation des courriers reçus. Une chaîne de personnels est restée en fonction dans les caisses, les organismes, qui représente 10 à 15 % des effectifs globaux (informatique, logistique, management, plateforme de services…). Enfin – et on en parle trop peu – certains effectifs soignants (dans les Ehpad ou certaines institutions sociales médicalisées) sont sous gestion directe de l’Assurance maladie(2). Nous devons évidemment leur porter une attention particulière.
Justement, comment la fédération a-t-elle fait face ?
Le premier défi pour la fédération a été de veiller au respect des normes sanitaires, d’œuvrer pour la sécurité des salariés à travers un dialogue social de qualité, malgré les circonstances. Pour cela, il s’agissait d’édicter des règles sûres, valables dans tous les organismes, et d’éviter ainsi toute décohésion, toute cacophonie. Nous avons obtenu auprès de l’Ucanss la tenue d’une conférence nationale par branche (recouvrement, famille, retraite, maladie/Ugecam) pour exiger des règles d’ensemble. Tout n’est pas parfait, mais nos alertes ont pu mettre en évidence bon nombre de situations qui posaient problème. Nous avons aussi veillé au maintien d’un dialogue social régulier à tous les autres niveaux, jusqu’à la tenue de CSE dans les organismes locaux. Enfin, nous suivons les dysfonctionnements avec vigilance, pour continuer à alerter les instances.
Et en interne, comment avez-vous continué à animer le mouvement ?
Nous devions bâtir un réseau social actif pour que les élus, représentants CFTC des organismes et militants puissent continuer les discussions et pour favoriser les remontées d’informations. À cette fin, nous avons tissé un fil de discussion sur WhatsApp qui s’est avéré si utile, si précieux, qu’il est appelé à perdurer. Nous avons aussi accéléré la mise en place du compte Twitter de la fédération.
Cette expérience nous a fait grandir, en termes d’action syndicale : il fallait créer des comités agiles, capables de décanter très vite des situations dysfonctionnelles. Ce qui a été fait. C’est une grande leçon, positive. Nos collectifs sont adaptables ; il peuvent se révéler tout aussi forts et solidaires en période de crise.
Pensez-vous que notre modèle de protection sociale se relèvera de cette crise ?
Ce que je sais, c’est que ce modèle est né d’une guerre, d’un pays en ruine. Il a été notre arme post-crise, parce qu’il sécurise personnes, biens – et, dans ce cas inédit, même les entreprises – pour les années à venir. Il ne faut pas se fixer sur l’envolée des dépenses, mais garder en tête que la Sécurité sociale est un investissement de très long terme, qui a su prouver sa robustesse – notamment face à la crise financière de 2008 – ce, malgré des déficits ponctuels parfois abyssaux. La bonne réaction serait de consolider cette « protection sociale à la française », c’est une fierté pour la nation. C’est un engagement d’État que nous espérons. Défendre nos institutions est le nouveau défi.
De quelle manière nous y prendre ?
Voyez-vous, ce secteur ne produit pas de richesses. Le dialogue social induit des négociations dans un cadre budgétaire restreint, ce qui est très complexe. Par exemple, malgré nos interpellations, l’Ucanss et les directeurs de branche sont réticents à accorder une prime exceptionnelle à nos agents. C’est très décevant. Nos agents prouvent chaque jour l’importance du service rendu : nous militerons pour que cette reconnaissance ne s’arrête pas qu’aux mots.
Il y a 20 ans, on parlait beaucoup de sanctuariser certains secteurs, la santé notamment. De la rendre impropre à toute analyse comptable, financière. Ce débat est largement tombé en désuétude, balayé au nom des grands équilibres budgétaires. Pourtant, la crise le réactualise largement. Tout comme l’hôpital, nous pensons que la sécurité sociale est au cœur de la stratégie de reconstruction de notre « collectif » pour former une nation plus solide et bien protégée.
Est-ce que cette contrainte budgétaire a pesé sur notre gestion de la crise ?
Notre virage vers la chirurgie ambulatoire (3) – qu’il est hors de question de remettre en question en soi – a néanmoins eu des effets induits qu’il est de notre responsabilité collective d’examiner. Il a permis la réduction du nombre de lits dans les hôpitaux et, donc, la réalisation d’économies drastiques. Face à un choc pandémique, il en va de la capacité des hôpitaux à absorber un afflux massif de malades. C’est une question arithmétique. Nos hôpitaux n’étaient pas prêts. Face à cela, les personnels soignants ont été admirables. La société que l’on ne voit pas habituellement est apparue : les personnels de nettoyage, ceux des Ehpad, les soignants à domicile… Toute une chaîne invisible, mais stratégique, essentielle. Il faudra prendre en compte tout cela. Mais nous devons aussi creuser au-delà de la question de l’hôpital et de la réduction des coûts. Le cœur de mission de la sécurité sociale est de prévoir le risque. Celui-ci n’était pas dans nos radars. Nos Ehpad, pour ne prendre que cet exemple, étaient en impréparation totale face à un risque épidémique. Cela signifie que l’on n’a pas su tirer les leçons de précédents sanitaires. La canicule de 2003 avait provoqué une très inquiétante surcharge hospitalière… Les préventeurs et épidémiologistes n’ont jamais eu la part belle en France, très centrée sur la médecine curative. On doit profondément transformer nos modèles et nos politiques, et reprendre confiance dans les systèmes sanitaires, avec beaucoup d’éthique et de « care ».
Au delà de l’aspect financier, vous appelez donc à un changement de perception global ?
Il nous faut intégrer que le monde a changé, que les risques et besoins ont changé. Nous sommes face à un risque exceptionnel – peu importe qu’il survienne tous les 5 ou 50 ans. Il faut le traiter à part, car il engendre des effets redoutables. La question est : comment protéger l’ensemble d’une nation qui, du jour au lendemain, doit stopper toute activité ? Pour l’aborder, il ne s’agit pas de saucissonner, d’empiler les dossiers des différentes indemnités, primes…, mais d’ examiner l’ensemble des leviers à actionner simultanément sur de multiples champs, économiques et sociaux. Il faudra ouvrir ce débat avec les partenaires sociaux, avec tous les acteurs, citoyens et associations. Il faudra, bien sûr, utiliser le temps long, qui permet d’investir et d’emprunter, sans surcharger « la génération » qui subit le risque. Et, enfin, oser les transformations écologiques.
Propos recueillis par Maud Vaillant
Les missions prioritaires ont été vite définies grâce aux plans de continuité des services.
Le groupe UGECAM (Unions pour la gestion des établissements des caisses de l’Assurance maladie) compte 225 établissements de santé et médicaux-sociaux en France. Ce qui en fait le premier opérateur de santé privé non lucratif.
Mode de prise en charge permettant, pour certaines interventions chirurgicales, de réduire la durée d’hospitalisation à une journée, sans hébergement de nuit.
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